Katherine regardait fixement ses ongles manucurés tandis que sa meilleure amie s'affairait à terminer de la préparer pour la représentation que le conservatoire avait organisée. Aujourd'hui son avenir se jouait et elle ne devait pas rater le coche. C'était maintenant ou jamais. La jeune femme derrière elle s'exprima, lui disant qu'elle pouvait désormais regarder le résultat dans le mirroir. L'anglaise releva les yeux bleus pour venir les poser sur la glace en face d'elle et contempla son reflet, l'air étonné. Elle n'avait jamais pensé qu'elle serait si resplandisante. Car il n'y avait pas d'autres mots pour la décrire.

Ses cheveux roux étaient tirés en arrière et retenus par une broche argentée. Deux mèches encadraient cependant son visage au teint plus pâle que d'habitude. Très légèrement maquillée, vêtue d'une robe longue bleu pâle aussi légère que l'air, elle tournoya un moment, s'observant avec un certain intérêt. Elle effleura du bout des doigts le pendentif bleu sombre comme la couleur des yeux de son bien-aimé, pendu à une chaînette. Un sourire étira ses lèvres et elle se retourna pour étreindre son amie, toute aussi belle qu'elle. Tout le monde s'était mis sur son trente-et-un pour ce soir.

La jeune femme sortit de la petite pièce qui leur servait de loge pour aujourd'hui et rejoignit silencieusement les portes d'entrée du conservatoire. Les petits talons de ses ballerines claquaient sur le sol tandis qu'elle se perdait dans ses pensées. Elle se revoyait ce matin à la clinique. Elle se remémorait la prise de sang, l'attente interminable et puis finalement le dénouement. La confirmation qu'elle était bien enceinte. Cette simple idée l'effrayait et la remplissait de joie. Tout allait bien se passer se rassura-t-elle.

Elle atteignit les portes d'entrée. Il y avait encore du monde qui se pressait aux portes. Elle s'assit donc sur un banc et se perdit dans la contemplation de l'extérieur, les bras pressés contre sa poitrine, ses mains frottant avec vigueur la peau nue de ses bras dans l'espoir vain de se réchauffer face aux courants d'airs qui la faisaient frissonner.

Puis elle l'aperçut. Un nouveau sourire naissa au coin de ses lèvres tandis qu'elle se relevait. Prenant un peu d'élan elle se jetta dans les bras de Raiden. Katherine nicha sa tête au creu de l'épaule du jeune homme, l'étreignant amoureusement.

- Tu es venu. , dit-elle dans un murmure.

Elle le regarda avec attention, caressant le visage de son aimé à l'aide de ses pouces.

- Je suis si heureuse de te voir !

Raiden lui avait promis de venir et il avait tenu parole. Katherine lui faisait confiance mais au fond d'elle ; elle était toujours inquiète. Inquiète de le savoir loin d'elle, inquiète de savoir donc seule, vulnérable et inutile si jamais il lui arrivait quelque chose. Pouvoir le voir, le toucher était donc un grand soulagement pour elle.

Elle se laissa étreindre, elle aussi, appréciant leur proximité. Il se pencha vers elle, laissant quelques instants plus tard un flot de paroles passé entre ses lèvres charnues. Elle fixa le mouvement envoûtant de ces deux bouts de chair. Puis émue par les paroles qu'il lui déclarait avec tendresse, elle essuya délicatement une larme qui menaçait de perler. Elle n'aimerait pas que le maquillage appliqué soigneusement par son amie ne coule et que cette dernière ne soit obligée de faire des retouches à la dernière minute.

La jeune femme sentit les lèvres de son bien-aimé effleurer son cou dans de chastes baisers. Elle soupira de bonheur tandis qu'elle se blottissait davantage dans les bras de Raiden. Elle profitait des minutes qui lui restaient avant d'entrer en scène pour la première fois de la soirée. Elle réapparaitrait souvent d'ailleurs dans la représentation. En tant que pianiste et flûtiste elle aurait du pain sur la planche.

- Je réussirais. Pour toi et pour lui.

Elle baissa ses yeux bleus, se détachant quelque peu du jeune homme. Elle voulait vraiment réussir. Ne serait-ce que pour stabiliser leur situation. Mais aussi pour rendre fière Raiden.

- Le programme de ce soir est plutôt simple. On a décidé d'installer les proches des élèves dans les coulisses. Tu y seras bien sûr. Tu verras mieux que si tu étais assis dans la salle. Puis moi je viendrais te rejoindre entre-deux morceau.

Il fallait bientôt qu'elle rejoigne les autres, mais pour l'instant elle préférait rester là, en compagnie de son aimé.

Un dernier baiser pour reprendre confiance en elle et Katherine s'avança sur la scène rejoignant sa meilleure amie avec qui elle devait faire l'ouverture. Sa longue robe traînait sur le sol, elle en releva la jupe pour éviter de marcher dessus et de s'étaler comme une crêpe sur le parquet de la scène. Ce serait fâcheux, embarrassant et plutôt traumatisant pour elle. Elle tourna la tête son regard dérivant vers les coulisses. Ses yeux bleus se fixèrent sur le visage de Raiden. Inspirant une goulée d'air, elle lui sourit, apaisée de se savoir observé. Comme si son regard sombre l'enveloppait toute entière telles les étreintes chaleureuses qu'ils partageaient et qui lui procurait une sensation de réconfort. Les lèvres entrouvertes de la jeune femme formèrent aussitôt trois mots. Elle lui adressa un « Je t'aime » silencieux puis reprit son chemin vers le piano à queue qui trônait au milieu.

S'installant sur la banquette dont elle régla la hauteur, elle posa ses mains si fines sur les touches et regarda son amie qui était debout à côté du piano, son violon posé sur son épaule. Et dans un commun accord elles débutèrent le morceau choisi, Romance op.1 de Dvorak. Katherine effleurait les touches, prenant plaisir à jouer. Cependant elle ne jouait pas pour tous les gens qui les écoutaient. Elle ne jouait que pour eux, ceux qu'elle aimait de tout son cœur.

Elle émergea de son petit monde quand résonnèrent les derniers accords de la douce mélodie. Se relevant elle rejoignit sa meilleure amie au devant de la scène. Elle semblait si petite, si vulnérable, la lumière des projecteurs accentuant la pâleur de sa peau. Elle balaya la salle de son regard distrait avant de quitter la scène d'un pas soutenu et de disparaître dans les coulisses. Ces derniers n'étaient éclairés que par de petites bougies disséminées à droite, à gauche. C'était son idée à elle d'éclairer ainsi.

Dans les coulisses la jeune femme retrouva les autres étudiants du conservatoire qui félicitèrent le duo. Des commentaires fusèrent, des bises sonores claquèrent sur ses deux joues tandis que d'autres élèves prenaient place sur la scène. Après avoir échangé quelques paroles, elle s'installa à côté de Raiden qu'elle embrassa, soulagée de le retrouver.

- Ça va ? , murmura-t-elle.

Cette soirée promettait d'être longue. Mais tant que son aimé était là elle supporterait la fatigue qui allait s'accumuler petit à petit.

Katherine se tordait les doigts en écoutant les paroles encourageantes de Raiden. Elle ne retenait que des mots ; épanouie, parfaite, rose, amour, éternel. De simples mots qui s'ancraient dans son esprit pour ne plus jamais s'effacer et qui la réconfortaient dans l'idée qu'elle était importante aux yeux de quelqu'un. Et elle espérait le rester jusqu'à la fin.

Son aimé passa un bras autour de ses épaules, la serrant contre lui. Puis très doucement il déposa un baiser sur la peau pâle de son cou. Ce n'était qu'un frôlement, mais elle frémit tout de même. Et pourtant, malgré tous les efforts qu'il fit pour attirer son attention, elle resta perdue dans la contemplation de ses mains tremblantes. Le stress enflait en elle jusqu'à la faire suffoquer. L'enjeu de ce soir était grand, trop grand pour sa petite personne et elle commençait tout doucement à perdre pied.

Raiden prit délicatement l'une de ses mains tremblantes pour l'apposer sur son cœur avant de faire la même chose inversement. La jeune femme vint se blottir contre lui, collant son oreille à l'emplacement du cœur pour en entendre les battements réguliers de celui-ci. Faisant le vide autour d'elle, elle se concentra uniquement sur ce rythme rassurant et sur les caresses doucereuses que lui prodiguait son aimé. Peu à peu elle se calma, les battements de son propre cœur reprenant un rythme plus lent qu'il y a quelques minutes.

Aux derniers notes de la mélodie jouée par les élèves présents sur la scène, elle se détacha du jeune homme et s'empara d'une chandelle. A la faible lueur de la bougie qui ne cessait de vaciller elle réussit à trouver sa flûte traversière et ses partitions. Elle allait bientôt devoir rejoindre l'orchestre et ce serait certainement le plus long moment de cette soirée. Après cela elle avait encore deux solos de piano et un solo de flûte avant l'annonce des résultats. Si elle se plaçait dans les premières, elle aurait la chance d'intégrer le fameux orchestre du conservatoire en tant que pianiste et flûtiste. Elle ne serait donc plus une élève mais une musicienne à part entière. Et cela lui ouvrirait de nombreuses portes qui lui permettraient d'avoir une situation à peu près stable financièrement. La fin des études de Raiden arrivait aussi, le couple pourrait désormais vivre avec deux rentrées d'argent dès qu'il trouvera un boulot. Avec l'arrivée prochaine de leur enfant, il serait temps qu'ils arrêtent de vivre d'amour et d'eau fraîche.

Katherine rejoignit son aimé et l'embrassa amoureusement. Jusqu'à ce qu'il faille repartir sur scène. A ce moment-là elle se dirigea vers les rangs de l'orchestre, flûte et partitions en mains.

Ses prestations s'enchaînaient une par une, ne laissant à Katherine que très peu de temps pour respirer. Elle ne rejoignit les coulisses que deux ou trois fois pour des moments courts et ne put ainsi discuter bien longtemps avec Raiden. Ses solos de piano passés il ne lui restait que son solo de flûte avant que la soirée ne se finisse. Elle avait fait l'ouverture avec sa meilleure amie, elle ferait la fermeture seule. La soirée se termina donc par son solo de flûte qu'elle mit un point d'honneur à ne pas rater. A la fin elle se courba en deux et rejoignit tout de suite après son aimé, qui l'aida à descendre de scène. Elle se perdit dans l'étreinte de ses bras avant de devoir à nouveau rejoindre l'estrade pour l'annonce des résultats. Elle aurait aimé que ce ne soit pas devant un public si nombreux, si jamais elle fondait en larmes, mais leurs professeurs en avaient décidé autrement.

La jeune femme s'aligna donc avec les autres étudiants se trouvant être pour la majorité de bonnes connaissances, des amis chers à ses yeux. Même si, ils le savaient tous, il faudrait plutôt les comparer à des rivales. Il n'y avait que trois places. Stressée, elle mêla ses doigts à ceux de sa meilleure amie qui se tenait à côté d'elle. Leurs professeurs s'avancèrent et tout se passa très vite. Elle entendit les trois noms et resta stoïque un long moment. Puis ses larmes dévalèrent ses joues et elle réalisa enfin ce que cela voulait signifier. La lumière au bout du tunnel : elle était prise.

Les vingt minutes suivantes furent émotionnellement éprouvantes. Entre les étreintes et les félicitations, les trois désignés n'étaient pas au bout de leur peine. Katherine était certainement la plus dans tous ses états. Elle était de toute façon très sensible et émotive. La ménager pendant les neufs prochains mois seraient mieux pour tout son entourage, tant ses nerfs étaient à fleur de peau.

Quand la jeune femme rejoignit Raiden, elle se laissa tomber dans ses bras. Elle l'étreignit, se pendit à son cou et l'embrassa. Fatiguée elle posa sa tête sur l'épaule du jeune homme et ferma les yeux. Elle sentait l'étreinte délicieuse de ses bras au niveau de sa taille, ce qui l'apaisait quelque peu.

- J'ai réussi. Enfin.

Elle se détacha de lui et plongea ses prunelles bleues dans les siennes. Souriant malgré les larmes qui roulaient encore sur ses joues, elle se blottit à nouveau contre lui.

Katherine flottait sur son petit nuage, qu'elle n'avait côtoyé que rarement depuis quelques temps. On ne pouvait pas dire que sa vie avait été facile tous les jours, et que toute la rancune qu'elle accumulait depuis son plus jeune âge envers la société, le boulot de ses parents et ses géniteurs eux-mêmes, ne l'avait pas franchement aidée à flotter sur ce-dit nuage de bonheur et d'épanouissement. Depuis longtemps elle n'avait été qu'une bombe à retardement qui avait éclatée deux ans plutôt et qui avait créée un séisme d'impuissance et de trahison qui l'avait démolie un moment. Un séisme suivi de plusieurs répliques plus ou moins violentes. Et dont la dernière avait manqué de la faire s'écrouler pour de bon.

La jeune femme, blottie dans les bras de Raiden, accueillit les doux baisers dans son cou avec joie. Tout son corps frissonna et chacun de ses muscles se détendit. Quand une douce musique résonna à ses oreilles elle n'y fit pas attention, se contentant de profiter des étreintes et de la volée de baisers que son aimé lui accordaient. Elle n'en prit conscience que lorsqu'il lui demanda si elle lui accordait une danse pour terminer la soirée. Elle balaya du regard la salle essentiellement vide - le public était parti depuis bien longtemps, ne restait que les proches - et vit plusieurs couples dansaient. Elle ne doutait pas que certaines filles aient organisé ce petit bal ; toutes rêvaient de voltiger dans les bras de leur amoureux. La musique d'ailleurs ne provenait pas de leurs instruments eux-mêmes, mais d'un enregistrement.

- Volontiers Raiden. , accepta-t-elle.

La musicienne, malgré sa fatigue croissante, de son aimé de ses bras, croisant ses doigts dans sa nuque. Collant raisonnablement son corps au sien, elle se laissa guider. N'étant pas une très bonne danseuse, elle faisait confiance à Raiden quand il s'agissait de slow et de danse tout court, en fait. Avec un tel partenaire elle s'avouait chanceuse que ses piètres talents ne soient pas un obstacle à ce moment-là.

- Où as-tu appris à danser comme cela ? , se surprit-elle à demander alors qu'elle se blottisait davantage contre lui. Ce n'est certainement pas tes entraînements de basket qui t'ont permis d'acquérir ce niveau en danse... si ?

Katherine s'appuyait de tout son maigre poids sur Raiden. Elle n'était pas assez lourde pour le faire flancher, mais elle s'en voulait tout de même. Pendant dix-sept ans elle s'était pensée forte et elle n'arrivait toujours pas à comprendre comment elle avait pu en arriver à ce niveau de dépendance. Elle n'était plus la jeune fille boute-en-train et fêtarde d'avant. Elle avait changé et elle avait fini par arrêter de se battre.

La fatigue et l'émotion eurent raison d'elle et elle pleura de nouveau. Enfouissant sa tête dans le haut de Raiden, elle laissa libre cours à ses larmes. Voyant que le jeune homme s'inquiétait de la voir pleurer, elle écrasa les perles salées d'un geste sec de sa main tremblante bien que cela n'arrêta pas ses sanglots.

- Ce n'est rien ; juste la fatigue. , le rassura-t-elle.

Il y a avait certainement plus que la fatigue. Mais ses émotions étaient bien trop embrouillées et confuses pour qu'elle n'en tire quelque chose de concret et qu'elle comprenne les raisons de son état.